Les Amérindiens connaissaient l’eau d’érable. C’était pour eux une sorte d’élixir, un aliment tonique pour l’organisme à la sortie de l’hiver. Les premiers arrivants français, proches des Autochtones, ont poussé plus loin le processus de raffinement de la sève en sucre grâce aux chaudrons de métal dont ils disposaient.
Dès les premiers jours de la colonie, les Autochtones apprenaient à nos ancêtres à entailler les érables au début du printemps afin d’y recueillir l’eau d’érable1. Entre 1536 et 1542, Jacques Cartier a laissé un premier témoignage concernant un arbre d’où aurait jailli une sève aussi bonne que le vin. Un peu plus tard, en 1606, Marc Lescarbot a fait un témoignage sur l’eau d’érable et en a décrit le processus de distillation requérant des pierres chaudes. Toutefois, pour l’historien Lucien Comeau, qui s’est longtemps questionné sur les origines du sucre produit à partir de cette eau d’érable, la question reste posée depuis longtemps : « Comment a commencé l’exploitation du sucre d’érable? » Un témoignage de 1722 du jésuite Joseph-François Lafitau (1681-1746) serait à l’origine de l’idée que les Européens auraient appris des Amérindiens le procédé de production. Pour l’historien, ce témoignage seul ne peut certifier cette hypothèse, d’autant plus que la totalité de la très abondante littérature des Relations des Jésuites au 17e siècle ne traite jamais de ce procédé de transformation de la sève en sucre. En fait, la plupart des mentions relèvent que les Amérindiens connaissaient le goût sucré de l’eau d’érable qu’ils recherchaient, mais ne semblent pas avoir utilisé le procédé de production du sucre. L’historien explique : « Ce silence sur le sirop et le sucre d’érable, productions si spéciales du nouveau continent, ne serait pas naturel si ces aliments avaient déjà été connus et usuels avant 1672 […] tout compte fait, jusqu’en 1670, seule la connaissance de l’eau d’érable est établie, non la production du sirop et du sucre à partir d’elle. Le silence sur une invention aussi remarquable fait conclure à l’inexistence du procédé2. »
En contrepartie, les nations autochtones avaient les technologies appropriées pour réduire de petites quantités de sève en résine, notamment la sève de bouleau, qu’ils utilisaient ensuite pour la fabrication d’un adhésif permettant de fixer les pointes de flèches aux flèches elles-mêmes. Il est aussi connu que les Premières Nations épaississaient l’eau d’érable à l’aide de pierres chauffées déposées dans des récipients de céramique. Cependant, même si ce processus avait pour effet de rendre l’eau plus concentrée en sucre, le point d’ébullition nécessaire pour fabriquer le sirop ne pouvait être atteint de cette manière. Par ailleurs, le sucré n’a jamais été au goût des Amérindiens. C’est d’ailleurs une saveur très peu présente dans les diètes traditionnelles, à l’exception des petits fruits sauvages. L’eau d’érable était probablement utilisée pour des fins médicinales, compte tenu de ses propriétés de purification du corps : élimination des toxines et des graisses accumulées pendant l’hiver3.
La production du sirop d’érable, telle que nous la connaissons, est probablement une technique empruntée à la production de mélasse dans les Caraïbes. Dès le XVIIe siècle4, les colonies françaises de cette région possédaient déjà une industrie sucrière bien développée, fondée sur une plante, la canne à sucre, et des techniques millénaires importées d’Asie et du Moyen Orient. Le procédé consistant à produire de la mélasse en faisant bouillir l’eau tirée du pressage de la canne à sucre a pu être imité dans la transformation d’eau d’érable en sirop.
En distinguant ainsi les connaissances autochtones sur l’eau d’érable et celles sur la fabrication du sucre par les populations d’origine européenne, nous découvrons un bel exemple d’enrichissement collectif à partir de deux savoirs traditionnels distincts.
Allez plus loin sur le web!
Pour en savoir plus sur l’herboristerie autochtone, visitez :
Site Web
Pour en savoir plus sur Joseph-François Lafitau, celui qui a laissé le témoignage selon lequel l’idée que les Européens auraient appris des Amérindiens le procédé de production du sirop d’érable :
Site Web
1 Robert C. Wheeler, « The Sugar Bush », dans A Toast to the Fur Trade. A Pictorial Essay on Its Material Culture, St. Paul, Wheeler Productions, 1985, p. 54-55.
2 Lucien Campeau, Les origines du sucre d’érable, dans « La Société des Dix », no 45 (1990), p. 55.
3 D’après le savoir traditionnel autochtone : Site Web
4 Ligon, Richard (1673) A true & exact history of the island of Barbadoes: illustrated with a map of the island, as also the principal trees and plants there, set forth in their due proportions and shapes, drawn out by their several and respective scales: together with the ingenio that makes the sugar, with the plots of the several houses, rooms, and other places, that are used in the whole process of sugar-making. [microfiche] Londres : Peter Parker et Thomas Guy.
PHOTO No 1
Source : Gravure de L’Opinion publique du 31 mai 1877 intitulée « La fabrication du sucre d’érable au Canada ».
Légende : Illustration décrivant les tâches diverses liées à l’exploitation d’une érablière vers 1870
PHOTO No 2
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : « La sucrerie » des pères du Saint-Esprit (Spiritains) au collège Saint-Alexandre de la Gatineau, à Limbour, vers 1940
PHOTO No 3
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. Office du film du Québec, no 7645650.
Légende : « Quelques vieilles pièces ». La cueillette de l’eau d’érable et son ébullition selon les techniques les plus traditionnelles. À noter : le porteur d’eau, le gros chaudron de fonte pour faire bouillir l’eau d’érable et les tonneaux en bois pour entreposer la sève recueillie.
PHOTO No 4
Source : Musée national de l’Homme, Ottawa, Photo MNC, AC. 122-76-1.
Légende : Petits bacs d’érablière
PHOTO No 5
Source : Collection de la municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette. Photographe inconnu.
Légende : Denis Martineau travaillant à la préparation du sirop, de la tire et du sucre d’érable en 1933.
PHOTO No 6
Source : Collection de la municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette. Photographe inconnu.
Légende : Une joyeuse partie de sucre chez les Martineau, en 1931. C’était une fête de famille!
PHOTO No 7
Source : Collection de la municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette. Photographe inconnu.
Légende : Les « sucres » chez Noé Lalonde, à Notre-Dame-de-la-Salette, vers 1940. Posent pour la postérité, de gauche à droite, Mme Léandre Lalonde (Julienne St-Amour), Mme Wildé Lalonde (Flore), Mme Noé Lalonde (Albina Desrochers) et grand-père Joseph St-Amour.
PHOTO No 8
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. Office du film du Québec, no 37057.
Légende : Transport de l’eau d’érable dans un énorme tonneau tiré par un cheval. L’érablière est un lieu consacré à la fête de l’arrivée du printemps. Les visiteurs, qui viennent goûter la tire d’érable qu’on étend sur la neige, en profitent pour s’amuser.
PHOTO No 9
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Transport de l’eau d’érable avec un cheval, dans une érablière, vers 1950