Amérindiens, explorateurs, voyageurs, trafiquants, missionnaires, militaires, passent par les sentiers de portage1 de la Rive-Nord de l’Outaouais bien avant que n’apparaissent les « cageux », bûcherons, draveurs et colons qui s’installent sur les rives de l’Outaouais et de ses tributaires. En remontant la rivière des Outaouais, ces premiers voyageurs se doivent d’emprunter les trois portages qui permettent de contourner les chutes et rapides qui bloquent leur passage. Le premier de ces trois portages, le « Portage du Bas », longe de près la rive et les rebords escarpés du «Trou du diable», empruntant un tracé de 650 pas environ qui, aujourd’hui, longerait la rue Eddy et le boulevard Taché pour se continuer de l’autre côté du ruisseau de la Brasserie, sur la rive de la rivière des Outaouais. De cet endroit, les canots sont acheminés à « demi-chargés » jusqu’au pied du deuxième portage, au fond de la baie des Paresseux, à l’arrière du pavillon principal de l’Université du Québec en Outaouais. Ce deuxième portage, le « Portage du Milieu », permet de contourner les petits rapides de la Chaudière, à la hauteur de Val-Tétreau. Ce sentier historique, encore intact, passe aux pieds du monument Brébeuf en traversant d’est en ouest le parc qui se trouve à l’extrémité de la rue Bégin, à Val-Tétreau. Le sentier du troisième portage, quant à lui, celui «du Haut», contourne en ligne droite, sur une distance d’environ 200 pas, les rapides Deschênes2.
Le monument érigé près du « Portage du Milieu » rappelle le passage à cet endroit, du jésuite Jean de Brébeuf, qui avait reçu comme mission d’aller évangéliser les peuples hurons et iroquois de la région des Grands Lacs. Le 16 mars 1649, en territoire Huron sur la Baie Georgienne, Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant seront faits prisonniers par une expédition iroquoise, puis torturés et mis à mort. La statue, érigée le long de ce portage en 1926, vise à commémorer ce passage fatidique de Brébeuf, en route pour une expédition qui allait s’avérer fatale.
Le sens que revêtent cette statue et ce portage historique témoigne du rapport complexe que nous entretenons aujourd’hui avec cette période de notre histoire. Pour certains, ce sentier est un lieu de mémoire qui permet de retracer les pas des explorateurs et commerçants européens qui ont marqué l’histoire de la Nouvelle-France et du Canada. Il a, en effet, été emprunté par Brûlé, Champlain, Brébeuf, La Vérendrye, d’Iberville, Bigsby, MacKenzie, Simpson et de nombreux autres grands noms de notre histoire. Pour d’autres, ce sentier symbolise le chemin pris aux Premières Nations par lequel le pouvoir colonial européen s’est immiscé au cœur de l’Amérique du Nord, avec ses intentions de convertir les Amérindiens, de s’approprier leurs territoires et de les déposséder de leurs ressources. Dans un sens comme dans l’autre, les portages de la rivière Chaudière sont des lieux de mémoire d’une importance exceptionnelle pour comprendre l’histoire de l’Amérique du Nord.
Allez plus loin sur le web!
Visitez la page sur les chutes des Chaudières du site de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique Française :
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Carte illustrant les lieux de différents évènements sur la rivière Outaouais :
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1 Il arrive souvent que les chutes et rapides des rivières bloquent le passage des canots. Les voyageurs se doivent alors de débarquer et de contourner ces obstacles en longeant le cours d’eau en marchant jusqu’à ce qu’ils aient dépassé les chutes et rapides ; ils peuvent alors remettre leur canot à l’eau et poursuivre leur voyage. Le chemin qu’ils utilisent pour porter leurs bagages et leurs ballots de marchandises du lieu de débarquement jusqu’au lieu d’embarquement est le « sentier de portage » !
2 Eric W. Morse, Fur Trade Canoe Routes of Canada / Then and Now, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969, pages 53 et 55.
PHOTO No 1
Source : C.W. Jefferys, The Picture Gallery of Canadian History, Toronto, The Ryerson Press, volume 2, page 215.
Légende : Portage d’un canot.
PHOTO No 2
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe aérienne de la compagnie Airmaps Limited.
Légende : Vue en plongée de l’intersection du ruisseau de la Brasserie et de la rivière des Outaouais en amont des chutes de la Chaudière ainsi que du boulevard Taché, de la rue Eddy et du pont des Chaudières vers 1925. Il y avait alors, au bout du boulevard Taché, un bras de la rivière des Outaouais qui se rendait jusqu’à l’intersection Eddy-Taché. Au printemps et à l’automne, à l’époque des « voyageurs », lorsque le niveau de la rivière le permettait, ces derniers accostaient avec leurs canots à cet endroit.
PHOTO No 3
Source : Charles P. DeVolpi, Ottawa. A Pictorial Record / Recueil Iconographique, 1807-1882, Montréal, DevSco Publications, 1964, planche no 43, « City of Ottawa. Canada West », lithographie de Sarony, Major & Knapp d’après un dessin des architectes Stent & Laver de New York, 1859.
Légende : Cet extrait du dessin des architectes Stent et Laver montre clairement le chemin suivi par les cages de bois équarri pour contourner la chute de la Chaudière en empruntant le glissoir de Ruggles Wright qui rejoint le bras de la rivière des Outaouais qui s’avançait jusqu’au pied de l’intersection du chemin menant au pont « Union ». C’est cette longue échancrure rocheuse qui servait aux anciens voyageurs qui empruntaient le premier portage Chaudière au printemps et à l’automne. Toute cette partie de la rivière des Outaouais a été comblée : c’est un bout d’autoroute qui occupe cet espace de nos jours. L’histoire des voyageurs et explorateurs d’antan est enterrée !
PHOTO No 4
Source : Eric W. Morse, Fur Trade Canoe Routes of Canada / Then and Now, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969, page 61. Il s’agit de la reproduction d’une peinture de Frances Hopkins, intitulée « Running a Rapid on the Mattawa River ».
Légende : Un groupe de « voyageurs » saute un rapide sur la rivière Mattawa