Les vrais débuts du village de Buckingham remontent à 1825. La scierie construite l’année précédente par Baxter Bowman, sur la rive droite, à l’ouest de la rivière du Lièvre, entre alors en production. On y scie surtout des madriers de 3 pouces d’épaisseur qui sont flottés dans une dalle humide en bois jusqu’au Bassin du Lièvre. C’est à cet endroit, surnommé « Rafting Basin » ou « Bassin de la Drave » que sont assemblés en radeaux les plançons produits par les hommes de Bowman et les madriers provenant de la scierie de Buckingham avant d’être flottés jusqu’à Québec1.
La scierie de Bowman est agrandie à plusieurs reprises pour répondre à la demande suscitée par une période de prospérité économique prolongée. Mais l’instabilité du commerce du bois, liée aux récessions économiques qui frappent de temps à autre le Canada, entraîne d’énormes difficultés financières. Malgré son endettement, Bowman survit financièrement jusqu’à son décès, survenu en 1853. C’est son gendre, George Washington Eaton, qui prend la relève jusqu’à la vente de l’entreprise à un groupe d’hommes d’affaires, en 18642.
Les nouveaux maîtres sont James MacLaren et son frère John, Joseph Merrill Cuerrier3 ainsi que William McNaughton et Jacques Félix Sincennes, détenteurs d’une flotte de bateaux à vapeur et de chalands. En 1872, les deux frères MacLaren rachètent les intérêts des trois autres partenaires et, en 1874, au décès de son frère John, James MacLaren devient seul et unique propriétaire de l’entreprise4. Il le demeure jusqu’à sa mort, survenue en 1892. Ses cinq fils prennent la relève et, en 1895, s’incorporent sous le nom de « James MacLaren Company5 ».
En 1831, une deuxième grande scierie est érigée sur la rive est de la Lièvre, au village de Buckingham, par Levi Bigelow6. Cette scierie prend la relève d’une première scierie, qu’il avait fait construire sur le ruisseau de l’Argile, dans le canton de Portland, vers 18287. Sa nouvelle scierie, comme celle de Baxter Bowman, connaît de bonnes et de mauvaises années. Mais Bigelow a moins de chance que Bowman… Son entreprise ferme ses portes en 1849, et son fils Lawrence est obligé de déclarer faillite en 1850. Vendue aux frères Hamilton d’Hawkesbury et à John Thompson de Québec, la scierie reprend ses activités en 1853. En 1869, Lemoine, Gibb and Company, dont un des actionnaires est James MacLaren, acquiert le tout. En 1873, l’entreprise est revendue à la compagnie Ross Brothers dont les actionnaires sont John et Frank Ross de Québec. Frank Ross cède cette dernière à la compagnie James MacLaren en 1901, contribuant à la mise en place d’un monopole de cette compagnie sur la Basse-Lièvre8.
C’est en 1901 que la compagnie James MacLaren fait construire sa première fabrique de pâte mécanique sur le site de l’ancienne scierie de Baxter Bowman. La production de bois de sciage de la firme est relocalisée sur la rive gauche, dans la scierie de l’ancienne compagnie Ross9.
Avant 1900, le bois est flotté jusqu’au Bassin du Lièvre, à Masson, dans deux dalles humides ou des glissoires de six kilomètres de longueur situées de chaque côté de la rivière. Il y est empilé pour sécher jusqu’à ce qu’il soit prêt à être expédié vers les marchés d’exportation. Vers 1907, d’immenses cours à bois sont aménagées au sud du cimetière Saint-Grégoire-de-Nazianze, sur la route reliant Buckingham à Masson. Le bois est transporté dorénavant par convoi ferroviaire, directement de Buckingham, plutôt que par chaland à partir de Masson. Vers 1930, la compagnie James MacLaren met fin à ses activités dans l’industrie du bois de sciage. Sa scierie et ses cours à bois de Buckingham sont fermées. La compagnie se consacre alors exclusivement à la production de pâtes et papiers10.
Le rôle joué par la compagnie James MacLaren dans l’industrie du bois de sciage est également très important. De 1912 à 1929, par exemple, sa production annuelle moyenne se chiffre à vingt-cinq millions de pieds mesure planche (p.m.p.). Ces sciages se répartissent de la manière suivante :
20 058 929 p.m.p. de pin et d’épinette;
478 915 p.m.p. de bois de charpente;
7 918 125 bardeaux;
4 646 219 lattes;
85 374 traverses de chemins de fer;
8 572 piquets de clôtures11.
L’abandon de cette production s’explique par l’épuisement de la ressource dans l’est du Canada et par la concurrence de la Colombie-Britannique dont le pin, entre autres, est moins cher et de meilleure qualité. Cette conjoncture environnementale, jumelée au déclenchement de la Grande Dépression en 1929, provoque la fermeture presque simultanée de la plupart des grandes scieries du bassin de l’Outaouais. La fermeture de la scierie de Buckingham s’inscrit dans ce contexte global.
Références et définitions1 Pierre Louis Lapointe, La vallée assiégée. Buckingham et la Basse-Lièvre sous les MacLaren, 1895-1945, Gatineau, Éditions Vents d’Ouest, 2006, p. 40.
2 Ibid., p. 40.
3 Ce dernier est marié à Hannah Wright, fille de Ruggles Wright.
4 Pierre Louis Lapointe, op. cit., p. 40.
5 Pierre Louis Lapointe, op. cit., p. 28. « James MacLaren a cinq fils qui marchent sur ses traces : David (1848-1916), John (1853-1903), Alexander (1860-1939), James Barnett (1866-1910) et Albert (1870-1940)… Lors de l’incorporation de la James MacLaren Company en 1900, David et Alexander se voient attribuer un quart des actions de la nouvelle société, tandis que John, James Barnet et Albert en obtiennent un sixième chacun. »
6 Pierre Louis Lapointe, op. cit., p. 40.
7 Pierre Louis Lapointe, Mon village, mes ancêtres. Notre-Dame-de-la-Salette, 1883-2008, Gatineau, municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette, 2008, p. 30.
8 Pierre Louis Lapointe, La vallée assiégée, op.cit, p. 41.
9 Ibid., p. 41.
10 Ibid., p. 41-42.
11 Il s’agit d’un extrait du rapport que Jean Blais adresse au nouveau ministre des Terres et Forêts, John Samuel Bourque. BAnQ-CAQ, E21, 1991-11-001 / 143. Dossier de la compagnie James MacLaren.
PHOTO No 1
Source : Collection Pierre Louis Lapointe.
Légende : Plan du village de Buckingham dressé par John Newman et remontant à 1855. Le ravin qui traverse alors l’avenue Buckingham, au nord de la rue Church, y est clairement indiqué. La scierie de la rive gauche (à l’est) est la propriété de Thompson, tandis que celle de la rive droite (à l’ouest) appartient au gendre de Baxter Bowman, George Washington Eaton. Une glissoire en bois achemine par flottaison les madriers des deux scieries jusqu’à Masson, localité connue à l’époque sous le nom de « Bassin du Lièvre ». Le bois y est empilé pour séchage jusqu’à son expédition par barge vers les marchés de Québec, Montréal, Burlington et New York.
PHOTO No 2
Source : Bibliothèque et Archives Canada. Aquarelle d’E. Whitefield.
Légende : Cette scène, remontant à 1870 et intitulée « Fall on the Lievre at Buckingham » est signée E. Whitefield. Elle représente les installations de la scierie Thompson sur la rive est de la Lièvre, qui passent éventuellement aux mains de la famille Ross de Québec.
PHOTO No 3
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de l’Outaouais, P117. Photographe : Rodolphe Léger.
Légende : Scierie de la rive droite, propriété de la compagnie James MacLaren, vers 1895, avant la construction de l’usine de pâte mécanique en 1901.Vue en aval des chutes Dufferin.
PHOTO No 4
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de l’Outaouais, P117. Photographe : Rodolphe Léger.
Légende : Vue de premier plan d’une dalle humide ou glissoire de flottaison vers 1898. Les planches sciées à Buckingham sont flottées jusqu’aux cours à bois du Bassin du Lièvre, à Masson, où elles sont empilées pour sécher à l’air libre.
PHOTO No 5
Source : Bibliothèque et Archives Canada. Photographe : William James Topley.
Légende : Les anciennes cours à bois de la compagnie James MacLaren au Bassin du Lièvre, à Masson, vers 1894. En arrière-plan, l’église Notre-Dame-des-Neiges de Masson, incendiée le 10 mai 1902.
PHOTO No 6
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe : Pierre Louis Lapointe.
Légende : La maison Thompson-MacLaren-Kenny en 1977. Érigée vers 1855 par John Thompson, l’un des propriétaires de la scierie de la rive gauche, de 1853 à 1869, elle devient éventuellement la propriété de R.M. Kenny et de son fils Robert Timothy Kenny. Les murs de cette magnifique résidence sont faits de madriers de pin empilés les uns sur les autres jusqu’à l’avant-toit.
PHOTO No 7
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de l’Outaouais, P117. Photographe : Rodolphe Léger.
Légende : La scierie de Ross-MacLaren sur la rive gauche de la municipalité de Buckingham autour de 1925. À l’arrière-plan, on peut aperçoit le pignon de la toiture de la maison de Thompson-MacLaren-Kenny.
PHOTO No 8
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe : William Notman.
Légende : James MacLaren, Président de la Banque d’Ottawa, autour de 1880.