Localisation : Chutes des Chaudières, secteur de Hull, Ville de Gatineau.
Thème : Quelques produits dérivés des sciages
Année : vers 1920
Capsule(s) reliée(s) :

1867-1960 - Quelques produits dérivés des sciages
Capsule
C18
Ouvrez l’allumière, s’il-vous-plaît!

Illustration de la couverture d’une boîte d’allumettes « Silent Parlor » de la compagnie E.B. Eddy, vers 1920.
Illustration de la couverture d’une boîte d’allumettes « Silent Parlor » de la compagnie E.B. Eddy, vers 1920.
L’une des premières allumettes à être fabriquées par Ezra Butler Eddy, au cours de la période 1855-1860. Fabriquées avec du phosphore blanc ou jaune, elles produisent des émanations toxiques. Un enfant peut s’empoisonner s’il en porte une à sa bouche. Il s’agit de la « Torche  Eddystone»! 
L’une des premières allumettes à être fabriquées par Ezra Butler Eddy, au cours de la période 1855-1860. Fabriquées avec du phosphore blanc ou jaune, elles produisent des émanations toxiques. Un enfant peut s’empoisonner s’il en porte une à sa bouche. Il s’agit de la « Torche  Eddystone»! 
Une autre des allumettes fabriquées par E.B. Eddy. Même si elle n’est pas identifiée, elle possède des caractéristiques qui en font une proche parente de la « Torche Eddystone ». 
Une autre des allumettes fabriquées par E.B. Eddy. Même si elle n’est pas identifiée, elle possède des caractéristiques qui en font une proche parente de la « Torche Eddystone ». 
Variétés d’allumettes offertes à sa clientèle par la compagnie E.B. Eddy, en 1918.
Variétés d’allumettes offertes à sa clientèle par la compagnie E.B. Eddy, en 1918.
Les allumettes-bougie (en cire) « Wax Vestas » fabriquées par l’Allumière Eddy.
Les allumettes-bougie (en cire) « Wax Vestas » fabriquées par l’Allumière Eddy.
Tronçonnage de madriers de pin pour la fabrication des petits blocs de bois qui servent à la confection des bâtonnets d’allumettes. Cette tâche est effectuée par un vieil allumettier, vers 1915.
Tronçonnage de madriers de pin pour la fabrication des petits blocs de bois qui servent à la confection des bâtonnets d’allumettes. Cette tâche est effectuée par un vieil allumettier, vers 1915.
Les bâtonnets d’allumettes, prisonniers de cette chaîne de montage, seront trempés dans divers bains de produits chimiques jusqu’à ce que fabrication s’ensuive.
Les bâtonnets d’allumettes, prisonniers de cette chaîne de montage, seront trempés dans divers bains de produits chimiques jusqu’à ce que fabrication s’ensuive.
Malgré sa qualité médiocre, c’est une des rares photographies d’allumettières dans leur milieu de travail. La compagnie E.B. Eddy, qui n’a que des éloges pour la dextérité des « Nimble-Fingered Girls Who Fill the Boxes With Eddy Matches » (Bulletin promotionnel no 8 du 15 novembre 1918), fait tout pour convaincre le public de la bonne entente qui règne entre la direction et les allumettières.
Malgré sa qualité médiocre, c’est une des rares photographies d’allumettières dans leur milieu de travail. La compagnie E.B. Eddy, qui n’a que des éloges pour la dextérité des « Nimble-Fingered Girls Who Fill the Boxes With Eddy Matches » (Bulletin promotionnel no 8 du 15 novembre 1918), fait tout pour convaincre le public de la bonne entente qui règne entre la direction et les allumettières.
Les bâtonnets d’allumettes cheminent par millions sur la chaîne de montage, de bains chimiques en séjours de séchage. À la toute fin de leur voyage, ils sont rangés délicatement et avec dextérité dans des boîtes et des caisses par les allumettières.
Les bâtonnets d’allumettes cheminent par millions sur la chaîne de montage, de bains chimiques en séjours de séchage. À la toute fin de leur voyage, ils sont rangés délicatement et avec dextérité dans des boîtes et des caisses par les allumettières.
Dessin d’une boîte d’allumettes, la « Silent Parlor Match », de la compagnie E.B. Eddy en 1919
Dessin d’une boîte d’allumettes, la « Silent Parlor Match », de la compagnie E.B. Eddy en 1919
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L’usine dans laquelle on fabrique des allumettes est une « allumière ». Il ne faut pas confondre ce terme avec les mots « allumettier » et « allumettière » par lesquels on désigne les hommes et les femmes qui y travaillent!

À Hull, la fabrication d’allumettes commence avec l’arrivée d’Ezra Butler Eddy, l’un des entrepreneurs les plus inventifs et doués de sa génération. Au début, avec l’aide de sa femme, il ne produit même pas dix caisses d’allumettes par jour. Le travail est effectué dans sa maison, de manière artisanale. En 1854, il loue un local plus vaste aux chutes des Chaudières pour être en mesure de manufacturer ses allumettes sur une plus grande échelle1. En 1871, la confection des allumettes Eddy se fait dans une usine consacrée entièrement à cette production. On y fabrique annuellement 270 000 caisses de douze douzaines de boîtes d’allumettes2. Au lendemain du Grand Feu de 1900, la compagnie Eddy produit 3 500 caisses d’allumettes par jour et, en 1918, cette production quotidienne atteint 70 000 000 allumettes3. Le nombre d’employés de l’allumière Eddy est de 140 en 1871 et de 235 en 1921. Les allumettières sont au nombre de 90 en 1871 et de 171 en 19214.

Jusqu’aux environs de 1910, le procédé de fabrication de la compagnie Eddy fait vraisemblablement usage du phosphore blanc ou jaune, dont les émanations toxiques sont capables de causer la « nécrose maxillaire », une sorte de « cancer » des os de la mâchoire. Cette maladie industrielle entraîne une mort atroce. En janvier 1911, à la Chambre des Communes, MacKenzie King s’en prend à l’usage du phosphore blanc et dépose le témoignage de nombreuses victimes de cette maladie industrielle5. Ce n’est que le 1er janvier 1915, cependant, que son utilisation est interdite au Canada. Il faut dorénavant utiliser le phosphore rouge ou « amorphe », ou un composé de phosphore qui est sans danger. Pour respecter la nouvelle loi, la compagnie Eddy choisit d’utiliser le « sesquisulfure de phosphore6 », mais les droits sur ce mélange sont contrôlés par un cartel international, la « Triade » d’Ivar Krueger. Pour en faire usage, la compagnie Eddy doit donc acheter le « sesqui » d’un des membres du cartel7. Heureusement, les Dieux veillent sur elle et la « Cité de Hull »! La compagnie n’aura bientôt plus besoin de contribuer au cartel. Un « patenteux » canadien-français de Hull, Octave Desprez, va redécouvrir, avec l’aide de sa femme, le procédé de fabrication du « sesquisulfure de phosphore » (P4S3). Du moins, c’est ce qu’on raconte dans un roman. On dit aussi qu’il cède sa découverte à la compagnie et contribue ainsi à la survie de l’entreprise. Le romancier met en scène la fille d’Octave, Magdal8, éperdument amoureuse de l’adjoint de son père et tombée enceinte à la suite de ce qu’on devine! Le drame est total : l’enfant est élevé comme s’il était le fils d’Octave Desprez. On lui cache même l’identité de sa mère biologique!  Le personnage central de ce roman, Octave, ressemble étrangement à Pierre Lebel, le frère du romancier. Il sera au cœur du combat pour récupérer les emplois liés à cette industrie après la fermeture de l’Allumière Eddy en 1928.

La ville de Hull porte avec fierté son titre de « Capitale des allumettes » jusqu’en 1928.  Malheureusement pour elle, R.B. Bennett, président de la compagnie E.B. Eddy, décrète la fermeture de l’Allumière Eddy en novembre 1928. C’est la consternation! Les raisons de cette fermeture ne seront connues que beaucoup plus tard. Cette décision s’explique par l’entrée de la compagnie E.B. Eddy dans le cartel international des allumettes. Il fallait absolument réduire la surcapacité de production des usines canadiennes!  C’est celle de Hull qui est sacrifiée. Mais c’était faire peu de cas de l’esprit créateur et combatif des gens de Hull! Solidaires, ils se regroupent pour récupérer les emplois perdus.

Ils incorporent la compagnie Hull Match (L’Allumière de Hull Limitée) et le 21 août 1929, ils procèdent avec enthousiasme à la première pelletée de terre à l’angle des rues Montclair et Saint-Rédempteur9.  Malheureusement, le krach boursier qui suit enterre le projet. Le 17 janvier 1931, ils créent la Canada Match (L’Allumière du Canada Limitée)10. Cette dernière s’installe dans une usine désaffectée de la rue Tracy et lance sa production avec succès. Et malgré le terrible incendie du 15 mars 1933, qui se solde par cinq morts et vingt blessés, la fabrique redémarre11. En janvier 1936, les administrateurs de la Canada Match vendent leur entreprise avec profit à la compagnie E.B. Eddy12. Dans les mois qui suivent, ils réinvestissent le tout dans une nouvelle compagnie, la Federal Match (L’Allumière fédérale Limitée)13. Et grâce à l’esprit inventif de Pierre Lebel, le rêve de 1929 devient réalité. Toute la chaine de production de la nouvelle fabrique est conçue par ce dernier, tandis que les pièces et les rouages sont fabriqués localement. La nouvelle compagnie livre une concurrence féroce au cartel international, tout comme la Canada Match l’avait fait précédemment. L’histoire se répète! Au mois de mai 1940, une succursale de la compagnie Eddy, la compagnie Valcourt, acquiert la Federal Match en payant le gros prix. Cette fois cependant, les vendeurs s’engagent à ne plus participer, de près ou de loin, à la fabrication d’allumettes. En se rendant à la banque, les entrepreneurs entêtés de l’Outaouais avaient le sourire aux lèvres. Ils venaient de reconquérir encore une fois une partie des emplois perdus en 1928.  L’ancienne « Capitale des allumettes » reprenait vie!

Références et définitions

1 Léo Rossignol, Histoire documentaire de Hull, 1792-1900, Ottawa, thèse de doctorat de l’Université d’Ottawa, 1941, p. 197-198. Aussi : John W. Hughson et Courtney C. J. Bond, Hurling Down the Pine, Chelsea, The Historical Society of the Gatineau, 1987, p. 42-43.

2 John Little, The Lumber Trade of the Ottawa Valley, With a Description of Some of the Principle Manufacturing Establishments, Ottawa, The Times Printing and Publishing Company, 1871, p. 36-38.

3 Compagnie E.B. Eddy, Every Week with the E.B. Eddy Company of Hull Canada, Story for Week Dated Oct. 11, 1918, Being no 3 in the Series. Ce feuillet publicitaire établit à 350 millions d’allumettes la production hebdomadaire de l’allumière Eddy, soit 70 millions par jour ouvrable. La semaine de travail s’étendait sur cinq jours.

4 John Little, op. cit., p. 38. Aussi : Recensement publié du Canada pour 1921. Il nous faut souligner que dans le Hull des années 1920 il y a une concentration de main-d’œuvre féminine dans le secteur des textiles et du vêtement, dans les fabriques d’allumettes et dans les shops de mica. Le recensement de 1921 nous permet d’établir cette proportion à plus de 80 % dans les textiles et le vêtement (728 sur un total de 869), à plus de 100 % dans le mica et à 72 % (171 sur 235) dans la fabrication d’allumettes. Il y avait donc de nombreux  allumettiers qui travaillaient avec les allumettières. De là la question qui tue : « Pourquoi accorder tant d’importance aux allumettières? »

5 W.L. Mackenzie King, « Speech of Hon. W.L. Mackenzie King on the Manufacture of White Phosphorus Matches, January 19, 1911 », dans House of Commons Debates, Third Session, Eleventh Parliament, Ottawa, Thursday, January, 1911.

6 H. Pécheux, Le salpêtre et les Azotates…, Paris, Baillière et Fils, 1926, p. 88-93. L’auteur y décrit le procédé de fabrication des allumettes et y donne les recettes chimiques des mélanges sécuritaires pour la santé. La formule chimique du sesquisulfure de phosphore est P4S3.

7 Every Week with the E.B. Eddy Company of Hull Canada, Story for Week Dated Dec. 13, 1918, Being no 12 in the Series. La compagnie E.B. Eddy y affirme qu’elle importait depuis longtemps le mélange « sesqui » pour fabriquer ses têtes d’allumettes, malgré le coût élevé de ce produit, afin de protéger la santé de ses employés.  « So, in spite of its much greater cost, they imported SESQUI for match-heads, and were using this safe non-poisonous match-head long before the Dominion Government made its use legally compulsory. »

8 Louis LeBel, Magdal ou « Ta vie sera ton châtiment », Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1940.

9 Une vente d’actions est lancée par l’Industrial Securities Corporation de Montréal. Le président de la nouvelle compagnie devait être Joseph Dufresne de Montréal. J.-Émile Paquette était pressenti pour prendre charge de la fabrication, Pierre Lebel, des « travaux chimiques ».

10 Il s’agit d’une charte d’incorporation fédérale datée du 17 janvier 1931 (Liber 307, folio 118). Les principaux bailleurs de fonds sont Wilfrid Charrette, Aimé Guertin, Josaphat Pharand, le notaire F.-A. Binet, T.-Omer et Zéphyr Laflèche, Jules Patry de Bouchette, J.-E. Paquette, Pierre Lebel, W. Leblanc, J.-A. Lalonde, M. Allaire de Notre-Dame-du-Laus, Dorval Morin de Gracefield et Augustin Robillard. Lors de son incorporation, J.-Wilfrid Charrette est président, Jules Patry est vice-président, J.-Avitus Cousineau est trésorier et J.-A. Guimond est secrétaire.

11 Bibliothèque et Archives nationales du Québec – Centre d’archives de Québec, E24, 1960-01-040 / 76, dossier A104 de 1932-1933, rapport de L.-O. Guyon à Alfred Robert, 17 mars 1933. Huit hommes et douze femmes sont blessés, et cinq femmes sont décédées. Il s’agit de Germaine Cyr, Marie-Paule Laviolette, Laura Lascelle, Thérèse Labelle et Anita Bertrand. Le dossier dévoile également que J.-Émile Paquette y est gérant et Stevens Hulquist, chimiste de la compagnie. Cette dernière a à son emploi 79 personnes, dont 13 filles de 14 à 18 ans, 35 femmes de plus de 18 ans, 5 garçons de 14 à 18 ans et 26 hommes de plus de 18 ans. Le travail, qui se fait à l’heure et à la pièce, s’étale sur une semaine régulière de 50 heures.

12 La compagnie Eddy et le cartel international n’ont pas exigé des vendeurs la promesse de ne plus fabriquer des allumettes, puisqu’ils contrôlaient les firmes qui produisaient l’équipement spécialisé utilisé dans la fabrication d’allumettes. Seuls les membres du cartel pouvaient s’en procurer.

13 La nouvelle compagnie acquiert le terrain sur lequel sera érigée la fabrique, à l’angle des rues Montclair et Saint-Rédempteur le 1er mai 1936. Voir : Greffe du notaire Henri Desrosiers, contrat no 10769.

Sources et légendes des médias secondaires

PHOTO No 1
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Illustration de la couverture d’une boîte d’allumettes « Silent Parlor » de la compagnie E.B. Eddy, vers 1920.

PHOTO No 2
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : L’une des premières allumettes à être fabriquées par Ezra Butler Eddy, au cours de la période 1855-1860. Fabriquées avec du phosphore blanc ou jaune, elles produisent des émanations toxiques. Un enfant peut s’empoisonner s’il en porte une à sa bouche. Il s’agit de la « Torche  Eddystone»!

PHOTO No 3
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Une autre des allumettes fabriquées par E.B. Eddy. Même si elle n’est pas identifiée, elle possède des caractéristiques qui en font une proche parente de la « Torche Eddystone ».

PHOTO No 4
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Extrait de : Every Week with the E.B. Eddy Company of Hull Canada, Story for Week Dated November 8, 1918, Being no 7 in the Series.
Légende : Variétés d’allumettes offertes à sa clientèle par la compagnie E.B. Eddy, en 1918.

PHOTO No 5
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Les allumettes-bougie (en cire) « Wax Vestas » fabriquées par l’Allumière Eddy.

PHOTO No 6
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Série Commission de la capitale nationale.
Légende : Tronçonnage de madriers de pin pour la fabrication des petits blocs de bois qui servent à la confection des bâtonnets d’allumettes. Cette tâche est effectuée par un vieil allumettier, vers 1915.

PHOTO No 7
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Série Commission de la capitale nationale.
Légende : Les bâtonnets d’allumettes, prisonniers de cette chaîne de montage, seront trempés dans divers bains de produits chimiques jusqu’à ce que fabrication s’ensuive.

PHOTO No 8
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu. Extrait de : Every Week with the E.B. Eddy Company of Hull Canada, Story for Week Dated September 5, 1919, Being no 50 in the Series.
Légende : Malgré sa qualité médiocre, c’est une des rares photographies d’allumettières dans leur milieu de travail. La compagnie E.B. Eddy, qui n’a que des éloges pour la dextérité des « Nimble-Fingered Girls Who Fill the Boxes With Eddy Matches » (Bulletin promotionnel no 8 du 15 novembre 1918), fait tout pour convaincre le public de la bonne entente qui règne entre la direction et les allumettières.

PHOTO No 9
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Série Commission de la capitale nationale.
Légende : Les bâtonnets d’allumettes cheminent par millions sur la chaîne de montage, de bains chimiques en séjours de séchage. À la toute fin de leur voyage, ils sont rangés délicatement et avec dextérité dans des boîtes et des caisses par les allumettières.

PHOTO No 10
Source : Collection Pierre Louis Lapointe.  Extrait de : Every Week with the E.B. Eddy Company of Hull Canada, Story for Week Dated September 5, 1919, Being no 50 in the Series.
Légende : Dessin d’une boîte d’allumettes, la « Silent Parlor Match », de la compagnie E.B. Eddy en 1919