L’arrivée du chemin de fer, qui fonctionne l’année durant, réduit l’importance de la navigation par voie d’eau. Qui plus est, le train est beaucoup plus rapide. Vers 1890, les délais de livraison d’Ottawa à Burlington, par voie navigable, sont de dix jours, tandis qu’ils ne sont que de quatre jours pour le trajet Ottawa-Boston par rail1. C’est ce qui amène la compagnie James MacLaren, par exemple, à fermer l’ancienne cour à bois du Bassin-du-Lièvre, à Masson, en 1905, et d’en ouvrir une nouvelle à Buckingham, desservie exclusivement par voie ferrée. L’année 1906 est d’ailleurs marquée par des mesures visant à liquider les empilements de Masson et par la modernisation de l’ancienne scierie Ross2.
La construction du Bytown and Prescott Railway, terminée en 1854, est le premier investissement d’importance des Américains dans la région d’Ottawa. Ces hommes d’affaires de Boston veulent drainer la production de bois de la vallée de l’Outaouais vers leur ville et leur port de mer. C’est la raison pour laquelle ils s’assurent, dès 1850, d’un lien ferroviaire liant Boston à Ogdensburg, la localité américaine située en face de Prescott. Parallèlement, ils investissent des sommes importantes dans la construction des grandes scieries des chutes des Chaudières dont la production est surtout destinée au marché américain. Malheureusement pour eux, les espoirs qu’ils mettent dans leur ligne de chemin de fer sont déçus. Ils ont sous-estimé les coûts liés à la traversée du Saint-Laurent entre Prescott et Ogdensburg et ceux liés au transbordement du bois, à cet endroit et à Ottawa, le bois des scieries des Chaudières devant être rechargé sur leurs wagons, à la cour de triage de la rue Sussex, à l’est de la rivière Rideau3. Dans l’Outaouais, le rail ne devient un compétiteur sérieux de la navigation à vapeur qu’au début des années 1880.
Une autre compagnie de chemins de fer, le Brockville and Ottawa Railway, ambitionne de drainer la production de bois de l’Outaouais vers Brockville, en tirant avantage du fait que la ligne principale du Grand Tronc, qui longe le fleuve Saint-Laurent, accède aux régions de Montréal et de Toronto ainsi qu’aux États-Unis. Dès 1859, la ligne du Brockville and Ottawa atteint Carleton Place et lorgne vers Pembroke, localité qu’elle atteint en 1875. Entretemps, le Canada Central Railway se construit des plaines Lebreton à Ottawa, jusqu’à Carleton Place. Ces deux dernières compagnies, fusionnées en 1878, passent aux mains du Canadien Pacifique en 1881, une année à peine avant que le gouvernement du Québec ne vende le « Québec, Montréal, Ottawa et Occidental », à cette même compagnie.
La première voie ferrée à relier la ville de Hull à Montréal, à Québec et aux Etats-Unis, en 1877, est celle du « Québec, Montréal, Ottawa et Occidental »4. En 1880, cette ligne traverse à Ottawa grâce à la construction du pont Prince de Galles, ce qui établit un lien direct entre la région de Montréal et les scieries des Chaudières et entre ces dernières et les États-Unis via Carleton Place et Brockville. Vers la fin du dix-neuvième siècle, deux autres chemins de fer rejoignent la « Cité de Hull ». L’Ottawa and Gatineau Valley Railway remonte la vallée de la Gatineau, atteignant Wakefield en 1891, Gracefield en 1895 et Maniwaki en 1904. Le Pontiac, Pacific Junction Railway, quant à lui, pénètre le Pontiac, atteignant Quyon en 1884, Shawville et Fort-Coulonge en 1886 et Waltham en 1888. Ces deux compagnies sont avalées par le Canadien Pacifique en 1902, une année après l’ouverture du pont interprovincial (pont Alexandra) aux trains qui traversent à Ottawa.
À la fin du dix-neuvième siècle et dans la première décennie du vingtième, les compagnies ferroviaires prennent de plus en plus de place. De nouveaux joueurs apparaissent. Le Canada Atlantic Railway, une création de John Rudolphus Booth, relie Coteau Jonction aux chutes des Chaudières en 1883, ce qui lui permet d’expédier le bois de ses scieries jusqu’en Nouvelle-Angleterre. Il prolonge ce lien ferroviaire vers l’ouest, jusqu’à Depot Harbour, sur la baie Georgienne, ce qui facilite l’approvisionnement de ses scieries en bois de sciage et qui donne à sa voie ferrée une deuxième vocation, l’exportation de blé vers les États-Unis. Cette compagnie est fusionnée au Grand Trunk Railway en 1905, ce qui permet à cette dernière de briser le quasi-monopole du Canadien Pacifique dans la région d’Ottawa. C’est le « Grand Tronc » qui fait construire la magnifique Gare Union, en face du Château Laurier et en bordure du canal Rideau, de 1907 à 1912. En 1898, le Canadien Pacifique, qui avait fait l’acquisition du Vaudreuil and Prescott Railway, termine la construction de cette voie ferrée en reliant Rigaud à Ottawa. La même région se voit desservie par un compétiteur, le Canadian Northern Ontario Railway, qui relie Hawkesbury à Ottawa à partir de 1909. Un pont lui permet de franchir la rivière des Outaouais à la hauteur d’Hawkesbury et d’emprunter le tracé du Carillon and Grenville Railway en direction de Montréal. Cette prolifération de chemins de fer et le déclin de l’industrie du bois de sciage se conjuguent pour mener à leur perte plusieurs de ces entreprises5. Vers 1916, la situation est telle que le Grand Trunk, le Grand Trunk Pacific, le Canadian Northern et plusieurs autres compagnies ferroviaires canadiennes risquent de faire banqueroute. Le gouvernement fédéral, fatigué de donner des subventions, met sur pied une commission royale d’enquête sur les chemins de fer. Cette dernière publie son rapport en 19176. On y recommande la nationalisation de plusieurs des compagnies, la création du Canadien National et la réorganisation du transport ferroviaire au Canada. Les recommandations sont acceptées par le gouvernement et, de 1917 à 1923, le CN absorbe les six compagnies ferroviaires en difficulté.
Comme nous avons pu le voir, le transport par eau et le transport par rail détournent une bonne partie des retombées liées à l’exploitation des forêts de l’Outaouais québécois vers les États-Unis7. De plus, l’activité économique qui est générée en région échoue surtout sur la rive ontarienne. La plupart des grandes scieries y sont localisées. L’est ontarien, traversé par de nombreux axes ferroviaires reliant la vallée de l’Outaouais au marché américain, est sans contredit mieux placé que la rive nord de l’Outaouais pour capter les effets d’entraînement de l’industrie forestière.
Allez plus loin sur le web!
Lire l’article de l’Encyclopédie canadienne en ligne sur l’épopée du chemin de fer :
Site Web
Chronologie du développement du chemin de fer dans la région de l’Outaouais (en anglais seulement)
Site Web
1 David Lee, Forest Products Industries in the Ottawa Valley, 1850-1925, Ottawa, Historic Sites and Monuments Board of Canada, 1985, pages 107-108.
2 BANQ-CAO, Archives de la compagnie MacLaren, Letter Book M-81, pages 148-149 ; Estimated Cost-Yards et Letter Book M‑81, pages 351-352, 453, 471, 474, 589, 666, 670, 674, 683, 727-730, 783-784, 812, etc..).
3 Arthur R.M. Lower, The North American Assault on the Canadian Forest, Toronto, Ryerson Press, 1938, pages 56 et 111. Également: Albert Faucher, Québec en Amérique au XIXe siècle, Essai sur les caractères économiques de la Laurentie, Montréal, Fides, 1973, pages 45, 65, 103 et 134-138. En 1871, le problème du transbordement est réglé pour Ottawa. La construction d’un embranchement reliant les Chaudières à la cour de triage de la rue Sussex permet de l’éviter.
4 La presque totalité des données chronologiques se rapportant à l’histoire ferroviaire de la région d’Ottawa sont puisées dans le site web de grande qualité de Colin Churcher qui se trouve à l’adresse suivante : http://www.railways.incanada.net/candate/ottawa.htm
5 William L. Marr et Donald G. Paterson, Canada: An Economic History, Toronto, The MacMillan Company of Canada, 1980, p. 321-331, « The Transcontinentals ».
6 Canada, Royal Commission on Railways and Transportation (1916-1917). Report of the Royal Commission to inquire into railways and transportation in Canada. Ottawa, J. de L. Taché, Imprimeur du Roi, 1917.
7 A.R.M. Lower, op. cit., p. 95-96 et 109. Albert Faucher, Québec en Amérique…, p. 25-26.
PHOTO No 1
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe : George Wilfred Broadhead.
Légende : Convoi ferroviaire traversant le pont Prince-de-Galles vers 1910. Ce pont avait été ouvert à la circulation en 1880.
PHOTO No 2
Source : Musée canadien des civilisations, photo no 73-425.
Légende : Chariot de livraison de la compagnie E.B. Eddy chargé de caisses d’allumettes devant être transbordées dans un wagon de la « Pennsylvania Lines » Railway , vers 1920.
PHOTO No 3
Source : Canada Lumberman and Woodworker, 15 novembre 1912, p. 32.
Légende : Carte montrant l’ampleur des concessions forestières de la Riordon Pulp and Paper Company en 1912. Son intérêt réside ailleurs. D’un coup d’œil, nous sommes en mesure de cerner l’importance du réseau de voies ferrées qui dessert le bassin de l’Outaouais, dans l’espace Ottawa-Montréal.
PHOTO No 4
Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec. Photographie aérienne de Fairchild Aerial Surveys, no 1273-28.
Légende : Vue en plongée d’Ottawa en 1926. Au centre de la prise de vue, la colline parlementaire, le canal Rideau et les longs hangars de trains qui s’allongent derrière la Gare Union. Au fond, en arrière-plan, la zone industrielle des chutes des Chaudières et la « Cité de Hull ».
PHOTO No 5
Source : Bibliothèque et Archives Canada, C-5227. Photographe inconnu.
Légende : La gare centrale du « Grand Tronc », en construction, sur la rive est du canal Rideau, à Ottawa, vers 1910. Ouverte officiellement le 1er juin 1912, cette gare est rebaptisée Gare Union le 4 janvier 1920. Derrière le bateau à vapeur qui est amarré sur la rive du canal, les bâtiments qui disparaîtront pour céder leur place au Centre des Arts d’Ottawa.
PHOTO No 6
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Vue de la cour de triage de la Gare Union d’Ottawa et du canal Rideau vers 1920
PHOTO No 7
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe : George Wilfred Broadhead.
Légende : Rotonde pour locomotives, située à proximité du pont Prince-de-Galles, vers 1920. Il s’agit d’un hangar où sont garées les locomotives à vapeur. Devant le hangar se trouve un pont-tournant en acier sur laquelle il y a des rails qui permettent de faire la jonction avec des voies ferrées qui vont dans toutes les directions. C’est ainsi que l’on est en mesure d’orienter le pont-tournant pour permettre à une des locomotives de se stationner dans le hangar, d’en sortir ou simplement de changer de direction pour revenir vers son point de départ. Tout ceci, parce que les anciennes locomotives ne reculaient qu’avec difficulté.
PHOTO No 8
Source : Musée canadien des civilisations, photo no 73-424.
Légende : Chariot de livraison de la compagnie E.B. Eddy chargé de rouleaux de papier Eddystone News en vue d’un transbordement sur un wagon du Canadien Pacifique, vers 1915
PHOTO No 9
Source : Bibliothèque et Archives Canada, RD-133, Fonds John Boyd.
Légende : Transbordement d’un chargement de billots de quatre pieds de long de bois à pâte, sur un wagon du Canadien Pacifique, à Kazabazoua, en 1924
PHOTO No 10
Source : Archives de la Ville de Gatineau. Cote : V12, D4, P1. Photographe inconnu.
Légende : Rails de tramway de la Hull Electric sur la rue Montcalm, à la hauteur de la Canada Packers, vers 1940. À la gauche se trouve la gare ferroviaire de Hull-Ouest et une importante cour de triage. Au centre de la photographie, on peut deviner la présence d’une voie ferrée double qui traverse la rue Montcalm à cet endroit.
PHOTO No 11
Source : Archives de la Ville de Gatineau. Cote : V12-180. Photographe inconnu.
Légende : Locomotive et convoi arrivant à Ottawa en provenance de Hull via le pont Royal Alexandra (Pont interprovincial), vers 1920. En arrière-plan, l’église Notre-Dame-de-Grâces de Hull.
PHOTO No 12
Source : Musée canadien des civilisations, photo no D2003-5036. Photographe : William Horner.
Légende : Travaux de construction du pont Interprovincial vus d’Ottawa, en 1900. En arrière-plan, sur la rive québécoise, le petit chantier naval qui relève de la Ottawa Transportation Company de 1892 à 1934 et les chalands et bateaux à vapeur qui sont alignés près de la rive.
PHOTO No 13
Source : Musée canadien des civilisations, photo no D2000-31-12. Photographe : William Horner.
Légende : L’impressionnante mise en place de la travée centrale du pont Interprovincial (Royal Alexandra) en 1901.