Le récit du « Canot volant » ou de la « Chasse-Galerie » est tiré d’une tradition du Poitou et de la Charente, deux anciennes régions de la France dont sont originaires plusieurs des premiers habitants de la Nouvelle-France. La légende française nous raconte la triste histoire du « Sire de Gallery » qui « en expiation de la faute qu’il avait commise de chasser un dimanche pendant la grand’messe, est condamné à chasser de nuit, dans le ciel, jusqu’à la fin des temps1 ». Nos voyageurs et forestiers l’adaptent à la sauce du pays. Isolés au fond des bois, à l’époque de la traite des fourrures ou plus tard, dans les chantiers forestiers de l’Outaouais, ils rêvent de pouvoir briser l’isolement dans lequel ils se trouvent, pour retrouver leurs proches, dans les paroisses d’en-bas, le long de la vallée du Saint-Laurent. Et puisqu’ils s’ennuient surtout pendant les festivités de la Noël et du Nouvel An, ils s’inspirent de la vieille légende française pour imaginer un « Canot volant » qui leur permettrait de voyager dans le ciel jusque dans les vieilles paroisses où se déroulent les célébrations du Nouvel An2.
La version la plus connue de cette légende, rédigée par Honoré Beaugrand, est publiée en 18913. Dans cette version canadienne de la « Chasse-Galerie », des bûcherons de la vallée de la Gatineau font un pacte avec le diable pour pouvoir célébrer la veillée du jour de l’An avec leurs blondes (vidéo)! Satan les fait voyager dans les airs en canot d’écorce et il s’engage à les conduire à bon port à deux conditions : il leur est défendu de prononcer le nom de Dieu pendant tout le trajet et, une fois envolés, les voyageurs doivent se tenir loin des clochers d’église, de peur d’en accrocher un au passage.
Dès que l’entente est conclue, il ne reste qu’à s’asseoir dans le canot et à prononcer les trois mots magiques suivants : « Acabri! Acabra! Acabram! ». Le canot s’élève alors dans les airs et file à raison de cinquante à soixante lieues à l’heure.
Le personnage principal de la « Chasse-Galerie » d’Honoré Beaugrand est Baptiste Durand, le contremaître d’un chantier du haut de la Gatineau. Il propose à quelques-uns de ses compagnons d’aller veiller à Lavaltrie avec leurs blondes. Toutefois, pour pouvoir partir, il lui faut un huitième homme. Or, celui-ci hésite. Il a peur! En le traitant de « poule mouillée » et en le ridiculisant, Baptiste réussit tout de même à le convaincre de faire le voyage. Nos gais lurons se rendent donc jusqu’à Lavaltrie, dansent plusieurs rigodons avec leurs blondes et, vers les deux heures du matin, rembarquent dans leur canot pour revenir au chantier. Baptiste est en quelque sorte au gouvernail et dirige le canot! Mais il a trop bu. Il est « pompette » et éméché. Heureusement pour eux, le canot revient tout de même à son point de départ sans accrocher un seul clocher d’église. Cependant, en s’approchant du camp, le conducteur fait une fausse manœuvre et le canot frôle d’un peu trop près le sommet d’un grand pin blanc, précipitant, tête la première, les huit gars jusqu’au pied de l’arbre. Ils dégringolent de branche en branche et atterrissent dans la neige, cette dernière amortissant leur chute. Par miracle, nos voyageurs s’en tirent sains et saufs, sans perdre leur vie, ni leur âme!
Allez plus loin sur le web!
Lisez la version originale publiée pour la première fois en 1891 par Honoré Beaugrand :
Site Web
Écoutez en baladodiffusion l’historien Jean-François Blais vous raconter une autre version de la genèse de ce conte :
Site Web
1 Pierre-Georges Roy, «Les légendes canadiennes», dans Les cahiers des dix, no 2, 1937.
2 Plusieurs auteurs se sont penchés sur le sens profond qu’il faut attribuer aux légendes traditionnelles. La légende de la « Chasse-Galerie » a été l’objet de plusieurs études du genre. Celle de Jean du Berger peut vraisemblablement intéresser ceux qui désirent approfondir leurs connaissances du folklore québécois. Voir : Jean Du Berger, « Chasse-galerie et voyage », dans Studies in Canadian Literature, vol. 4, no 2, 1979, p. 35-43.
3 Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [Réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 41-65.
PHOTO No 1
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 41.
Légende : Le conteur se met à raconter l’histoire de la chasse-galerie en annonçant « une rôdeuse d’histoire ».
PHOTO No 2
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 42.
Légende : Le contremaître Baptiste Durand entraîne son huitième homme à l’extérieur du camp afin de le convaincre de se joindre aux autres voyageurs.
PHOTO No 3
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 44.
Légende : Assis dans le canot, les hommes répètent l’incantation « Acabri! Acabra! Acabram! » pour pouvoir s’envoler.
PHOTO No 4
Source : Musée des Beaux-Arts du Canada. Dessin d’Henri Julien.
Légende : Nos voyageurs de la Chasse-Galerie survolent Montréal, en route pour Lavaltrie.
PHOTO No 5
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 41.
Légende : Nos voyageurs dansent et festoient pendant plusieurs heures à Lavaltrie.
PHOTO No 6
Source : Bibliothèque et Archives Canada. Dessin d’Henri Julien.
Légende : Ce canot de la Chasse-Galerie est très différent de celui qui survole Montréal. Il s’agit probablement d’une version différente de la légende, puisqu’il y a dix passagers, sans compter Satan lui-même qui est debout à l’avant du canot.
PHOTO No 7
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 62.
Légende : Le canot accroche la tête d’un grand pin blanc, et les voyageurs dégringolent, tête première, de branche en branche, jusque dans la neige.
PHOTO No 8
Source : Honoré Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, [réimpression de l’édition de 1900], Montréal, Boréal, 2002, p. 63.
Légende : Les hommes se remettent de leurs émotions et de leur voyage en dégustant la nourriture de Jos, leur cuisinier.
VIDÉO
Source : Robert Doucet, La Légende du canot d’écorce, Office national du film, 1996
Légende : Un film d’animation inspiré par La légende du canot d’écorce, mieux connue sous le nom de « Chasse-galerie ». Publié pour la première fois en 1891 par Honoré Beaugrand, ce conte folklorique raconte l’histoire de bûcherons qui, partis travailler dans un camp isolé dans la vallée de la rivière Gatineau pour l’hiver, concluent un pacte avec le diable pour pouvoir passer la veille du jour de l’An auprès de leurs parents et amis.