Localisation : Ottawa
Thème : En marche vers le développement durable
Capsule(s) reliée(s) :

1960 à nos jours - En marche vers le développement durable
Capsule
D3
La fin du flottage

L’un des derniers grands radeaux ou « trains » de bois à descendre la rivière des Outaouais, en 1900. Il est composé de plus de 70 cages.
L’un des derniers grands radeaux ou « trains » de bois à descendre la rivière des Outaouais, en 1900. Il est composé de plus de 70 cages.
Mise en place de la travée centrale du pont « Royal Alexandra » (Interprovincial) en 1901.
Mise en place de la travée centrale du pont « Royal Alexandra » (Interprovincial) en 1901.
Travailleurs de la Upper Ottawa Improvement Company, rivalisant d’efforts pour briser un embâcle sur la rivière des Outaouais, près de Bryson, le 14 septembre 1942.
Travailleurs de la Upper Ottawa Improvement Company, rivalisant d’efforts pour briser un embâcle sur la rivière des Outaouais, près de Bryson, le 14 septembre 1942.
Scène de flottage typique des années 1960, sur la rivière des Outaouais, par la Upper Ottawa Improvement Company, pour le compte de la compagnie E. B. Eddy.
Scène de flottage typique des années 1960, sur la rivière des Outaouais, par la Upper Ottawa Improvement Company, pour le compte de la compagnie E. B. Eddy.
Vue panoramique de Hull et du secteur des chutes Chaudières vers 1898.  À la droite, en avant-plan, la « Sulphite » de la compagnie E.B. Eddy et l’imposante église Notre-Dame-de-Grâces de Hull.  En arrière-plan, sur les deux rives des chutes Chaudières, des empilements de bois à perte de vue.  Cette phénoménale production de bois de sciage a généré des montagnes de sciures et de déchets de bois qui, pendant plus de soixante ans, se sont accumulés au fond de la rivière des Outaouais.
Vue panoramique de Hull et du secteur des chutes Chaudières vers 1898.  À la droite, en avant-plan, la « Sulphite » de la compagnie E.B. Eddy et l’imposante église Notre-Dame-de-Grâces de Hull.  En arrière-plan, sur les deux rives des chutes Chaudières, des empilements de bois à perte de vue.  Cette phénoménale production de bois de sciage a généré des montagnes de sciures et de déchets de bois qui, pendant plus de soixante ans, se sont accumulés au fond de la rivière des Outaouais.
Remorqueur, estacades et billes à profusion sur l’Outaouais supérieur vers 1960.
Remorqueur, estacades et billes à profusion sur l’Outaouais supérieur vers 1960.
Attroupement de draveurs, d’employés des scieries, d’officiels et de curieux, en amont des chutes Chaudières, à l’occasion de la visite royale du 23 septembre 1901.  En arrière-plan, les innombrables jetées qui s’accrochent au fond de la rivière des Outaouais, témoins des opérations de drave et de flottage qui se déroulèrent à cet endroit pendant plus d’un siècle.
Attroupement de draveurs, d’employés des scieries, d’officiels et de curieux, en amont des chutes Chaudières, à l’occasion de la visite royale du 23 septembre 1901.  En arrière-plan, les innombrables jetées qui s’accrochent au fond de la rivière des Outaouais, témoins des opérations de drave et de flottage qui se déroulèrent à cet endroit pendant plus d’un siècle.
Cette photographie aérienne du 22 septembre 1923 souligne l’importance des installations industrielles des chutes Chaudières et met en évidence le rôle joué par les estacades dans l’acheminement des billes jusqu’aux moulins de la compagnie E.B. Eddy.
Cette photographie aérienne du 22 septembre 1923 souligne l’importance des installations industrielles des chutes Chaudières et met en évidence le rôle joué par les estacades dans l’acheminement des billes jusqu’aux moulins de la compagnie E.B. Eddy.
Tri de grumes au pied du monte-billes de la fabrique de pâte au bisulfite de la compagnie E.B. Eddy vers 1960, sur le site de l’actuel Musée canadien des Civilisations.  Les hommes se servent de leurs gaffes pour diriger les billes vers l’entrée du moulin.  En arrière-plan, le pont Interprovincial ou « Royal Alexandra ».
Tri de grumes au pied du monte-billes de la fabrique de pâte au bisulfite de la compagnie E.B. Eddy vers 1960, sur le site de l’actuel Musée canadien des Civilisations.  Les hommes se servent de leurs gaffes pour diriger les billes vers l’entrée du moulin.  En arrière-plan, le pont Interprovincial ou « Royal Alexandra ».
Tri des billes acheminées à l’usine de pâte chimique de la compagnie E.B. Eddy, sur la rivière des Outaouais, à Hull, vers 1946.  En arrière-plan, la colline parlementaire et le monde douillet et feutré des cols blancs et des hommes politiques, aux antipodes de l’univers de ces travailleurs manuels.  De nos jours, il s’agit de l’emplacement du Musée canadien des Civilisations.
Tri des billes acheminées à l’usine de pâte chimique de la compagnie E.B. Eddy, sur la rivière des Outaouais, à Hull, vers 1946.  En arrière-plan, la colline parlementaire et le monde douillet et feutré des cols blancs et des hommes politiques, aux antipodes de l’univers de ces travailleurs manuels.  De nos jours, il s’agit de l’emplacement du Musée canadien des Civilisations.

Si le flottage de cages et de radeaux de bois équarri s’étend sur une période de plus de quatre-vingt ans, la drave des billes qui alimentent l’industrie des sciages et les usines de pâtes et papiers a près de deux siècles d’existence.  Ce moyen de transport, le seul disponible avant la construction de routes de bonne qualité ou la pénétration du chemin de fer, s’est toujours avéré le moins coûteux pour les entrepreneurs forestiers.  Dans l’Outaouais, son utilisation remonte aux débuts du dix-neuvième siècle; ailleurs, sur le Richelieu, par exemple, le flottage date de l’époque de la Nouvelle-France.  Le gouvernement du Québec s’est toujours montré favorable à l’utilisation des rivières et des lacs pour le flottage et les opérations de drave.  La section VI de la Loi sur le régime des eaux encadre ce recours au flottage mais ne l’empêche pas1.

Ce sont les partisans du plein air et les défenseurs de l’environnement alliés aux plaisanciers, aux villégiateurs, aux pêcheurs, aux chasseurs et aux biologistes qui, à partir des années 1970 se sont dressés contre le flottage du bois2.  Les lois sur l’environnement et les règlements qui en découlent ont imposées de nouvelles exigences aux compagnies qui avaient recours au flottage et à la drave.  Et l’opinion publique, alimentée d’arguments-matraque par les opposants au flottage, a pris les moyens de se faire entendre.  Les retombées économiques de l’industrie récréo-touristique ont dès lors convaincus les autorités politiques de l’importance des plans d’eau et de l’intérêt qu’il y avait de libérer les rivières et les lacs du flottage et de la drave3.  La crise de l’industrie des pâtes et papiers, la fermeture de nombreuses papeteries, tout comme les innovations technologiques qui ont permis de réduire considérablement les besoins en matière ligneuse ont convaincues les forestières d’abandonner le flottage.  Cet abandon se fait par étapes, survenant sur le lac Témiscamingue en 1976 et dans la plupart des régions du Québec au cours des années 1990, certaines compagnies forestières prenant les devants, tels la Donohue et la Domtar, au lac Saint-Jean, vers 1979.  La « Upper Ottawa Improvement Company » (ICO)4, qui gérait la drave sur la rivière des Outaouais, met fin à ses activités vers 1992 tandis que la compagnie James MacLaren imite son geste sur la rivière du Lièvre vers 1993.

Pour mesurer le chemin parcouru depuis la fin du dix-neuvième siècle, période au cours de laquelle les « Barons du bois » étaient rois et maîtres sur la rivière des Outaouais, il suffit de parcourir le rapport McAlpine-Greene de 1837 et le mémoire d’Antoine Ratté de novembre 18865.  Ces observateurs décrivent la pollution due au bran de scie et aux débris de bois de toutes sortes qui flottent sur la rivière et qui finissent par s’accumuler au fond de l’Outaouais.  Les ouvriers qui travaillent à l’installation de caissons pour construire les piliers du pont Alexandra (Interprovincial) en 1900, découvrent, abasourdis, que le fond de la rivière est recouvert d’environ soixante pieds de bran de scie, entremêlé aux poutres de bois équarri et aux billes immergées, le tout accumulé depuis plus de cinquante ans6.  La sciure de bois et les débris qu’ils enlèvent pour rejoindre et ancrer les piliers du pont dans le fond de la rivière sont déversés sur la glace.  Des Hullois à l’esprit vif ont tôt fait de reconnaître la bonne occasion qui s’offre à eux!  Ils s’empressent de récupérer ce mélange de bran de scie et de bois pour chauffer leurs maisons à bas prix.

Depuis les années 1960, de plus en plus de gens s’intéressent à la récupération du bois immergé dans les rivières et lacs de l’Outaouais.  Et cet intérêt se retrouve ailleurs au Québec, motivé par des objectifs qui sont à la fois environnementaux et économiques.

J. Edgar Boyle est un des premiers entrepreneurs forestiers de l’Outaouais à expérimenter cette récupération des billes immergées7.  Il s’entend avec la « Upper Ottawa Improvement Company » (ICO)8, chargée des opérations de drave sur l’Outaouais.  Selon la contremarque apparaissant sur les billes, on prévoit versé une compensation aux compagnies propriétaires du bois ainsi récupéré.  Des plongeurs sont embauchés et le bois est empilé sur le rivage pour trois mois afin qu’il puisse bien sécher.  L’expérience est à prime abord remplie de promesses.  Mais elle se révèle désastreuse lorsque vient le temps du sciage.  On découvre que plusieurs des billots sont fendillés et que de fines particules de sable, invisibles à l’œil nu, se sont infiltrées dans le tissus du bois.  Résultat : les scies de la scierie sont abîmées, ce qui rend l’opération non-rentable.  Et J. Edgar Boyle d’ajouter qu’il avait eu plus de chance une dizaine d’années auparavant en repêchant des billots immergés dans la rivière de l’Aigle, près de Montcerf.  Submergées pour trois ans seulement, ces billes sont en parfaite condition et leur récupération pour le sciage se révèle une affaire payante.  Le bois repêché dans l’Outaouais, quant à lui, avait été dans l’eau pour plus de trente ans, ce qui a entraîné sa détérioration.

L’expérience vécue par J. Edgar Boyle est vite oubliée semble-t-il.  Une compagnie de Pembroke se lance dans cette aventure en 1971.  La « Boreal Development Limited » soumet un projet de récupération des billes immergées dans la rivière des Outaouais aux autorités du ministère des Ressources naturelles du gouvernement ontarien9.  Forts d’une expérience pilote menée sur quelques centaines de billes repêchées dans le secteur de Fort William et sur quelques centaines d’autres empilées sur le rivage pendant la période hivernale pour mesurer l’effet du séchage, ils décident d’étendre leurs opérations jusque dans la région d’Ottawa.  Le sciage s’étant bien déroulé, ils concluent à la rentabilité de la récupération du bois immergé.  Afin d’encourager le projet, les autorités ontariennes renoncent à prélever des droits sur le bois qui sera repêché dans la partie ontarienne du lit de la rivière.  Il est fort vraisemblable que cette tentative se soit butée aux mêmes difficultés que celles rencontrées par J. Edgar Boyle.  À notre connaissance, ce projet n’a pas eu de suites durables.

Des projets de récupération semblables ont vu le jour ailleurs au Québec.  Mais c’est dans la région du Saguenay-Lac Saint-Jean seulement qu’on a étudié de manière systématique les potentiels, la faisabilité et les perspectives d’un écodéveloppement de cette récupération des bois immergés.  Le mémoire de maîtrise de Suzanne Tremblay, déposé en 1991, fait le tour de la question et soulève la complexité du repêchage des billes qui ont coulées au fond des lacs et des rivières de cette région10.  Les répercussions environnementales de toute opération du genre posent un énorme problème et imposent le respect du principe de précaution à tous ceux qui voudraient mettre en valeur cette matière ligneuse oubliée.

Références et définitions

1 Éditeur officiel du Québec, Lois refondues du Québec, chapitre R-13, « Loi sur le régime des eaux », Section VI, « Du flottage du bois ».

2 Pour une analyse extrêmement lucide et documentée de l’industrie forestière du Québec et du poids du facteur transport dans l’exploitation forestière, voir l’article de Harvey Mead intitulée Pour un progrès véritable dans l’industrie forestière, 14 avril 2010 sur le web à http://gaiapresse.ca/analyses/pour-un-progres-veritable-dans-lindustrie-forestiere-156.html

3 Visionnez l’intéressant reportage de l’émission « Tout le monde en parlait » de Radio-Canada sur l’abandon du flottage sur la rivière Saint-Maurice en 1995 à http://www.radio-canada.ca/util/postier/suggerer-go.asp?nID=1072327

4 Les dernières estacades son remorquées sur la rivière des Outaouais en 1991.  Jusqu’en 1910, l’ICO ne drave que les billes de sciage et de 1910 à 1986, elle drave et remorque les billots qui servent aux sciages et à la fabrication des pâtes et de papiers.  Après 1986, elle s’occupe exclusivement du bois qui alimente les pulperies et les papetières.

5 Reports of Hon. Wm.-J. McAlpine, C.E., and D.M. Greene Esq., C.E., on the Wood and Saw-dust Deposits in the Hudson and Ottawa Rivers, Ottawa, A.-S. Woodburn, 1837, 28 pages.  Voir aussi: Antoine Ratté, « The Saw-Dust Nuisance in the River Ottawa », dans Asticou, No 9, (septembre 1972), pages 43-49.

6 Robert Haig, Ottawa. City of the Big Ears, [s.l.], [s.d.], page 167.

7 J. E. Boyle, « My Life and Times in the Bush » dans Up the Gatineau, No 15 (1989), page 24.

8 Pour une présentation du rôle joué par cette compagnie spécialisée dans la drave dans le bassin de l’Outaouais, voir : http://www.collectionscanada.gc.ca/pam_archives/public_mikan/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&lang=eng&rec_nbr=159708&back_url=()

9 « Proposal by Boreal Development Limited Regarding Sunken Logs and the Ottawa River », File 1032-125, Collection Pierre Louis Lapointe.

10 Suzanne Tremblay, La récupération du bois submergé en Sagamie : potentiels, faisabilité et perspectives d’écodéveloppement à l’échelle locale, Chicoutimi, Université du Québec à Chicoutimi, thèse de maîtrise en études régionales, mai 1991. http://bibvir.uqac.ca/theses/1469013/1469013.pdf

Sources et légendes des médias secondaires

PHOTO No 1
Source : Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Photographie de William J. Topley.
Légende : L’un des derniers grands radeaux ou « trains » de bois à descendre la rivière des Outaouais, en 1900.  Il est composé de plus de 70 cages.  En arrière-plan, les piliers du pont Alexandra qui est en construction et la flèche de l’église Notre-Dame-de-Grâces de Hull.  C’est en travaillant à l’installation de caissons pour construire les piliers du pont Alexandra (Interprovincial) que les ouvriers découvrent que le fond de la rivière est recouvert d’environ soixante pieds de bran de scie, entremêlé de poutres de bois équarri et de grumes de diverses dimensions.

PHOTO No 2
Source : Musée canadien des Civilisations, CD2000-31-12.  Photographe : W. Horner.
Légende : Mise en place de la travée centrale du pont « Royal Alexandra » (Interprovincial) en 1901.

PHOTO No 3
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Travailleurs de la Upper Ottawa Improvement Company, rivalisant d’efforts pour briser un embâcle sur la rivière des Outaouais, près de Bryson, le 14 septembre 1942.

PHOTO No 4
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Scène de flottage typique des années 1960, sur la rivière des Outaouais, par la Upper Ottawa Improvement Company, pour le compte de la compagnie E. B. Eddy.

PHOTO No 5
Source : Musée canadien des Civilisations, D2003-5032. Photographe inconnu.
Légende : Vue panoramique de Hull et du secteur des chutes Chaudières vers 1898.  À la droite, en avant-plan, la « Sulphite » de la compagnie E.B. Eddy et l’imposante église Notre-Dame-de-Grâces de Hull.  En arrière-plan, sur les deux rives des chutes Chaudières, des empilements de bois à perte de vue.  Cette phénoménale production de bois de sciage a généré des montagnes de sciures et de déchets de bois qui, pendant plus de soixante ans, se sont accumulés au fond de la rivière des Outaouais.

PHOTO No 6
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Remorqueur, estacades et billes à profusion sur l’Outaouais supérieur vers 1960.

PHOTO No 7
Source : Musée canadien des Civilisations, CD2000-31-11.  Photographe : Pittaway.
Légende : Attroupement de draveurs, d’employés des scieries, d’officiels et de curieux, en amont des chutes Chaudières, à l’occasion de la visite royale du 23 septembre 1901.  En arrière-plan, les innombrables jetées qui s’accrochent au fond de la rivière des Outaouais, témoins des opérations de drave et de flottage qui se déroulèrent à cet endroit pendant plus d’un siècle.

PHOTO No 8
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographie aérienne.
Légende : Cette photographie aérienne du 22 septembre 1923 souligne l’importance des installations industrielles des chutes Chaudières et met en évidence le rôle joué par les estacades dans l’acheminement des billes jusqu’aux moulins de la compagnie E.B. Eddy.

PHOTO No 9
Source : Musée canadien des Civilisations, 73-534.  Photographe inconnu.
Légende : Tri de grumes au pied du monte-billes de la fabrique de pâte au bisulfite de la compagnie E.B. Eddy vers 1960, sur le site de l’actuel Musée canadien des Civilisations.  Les hommes se servent de leurs gaffes pour diriger les billes vers l’entrée du moulin.  En arrière-plan, le pont Interprovincial ou « Royal Alexandra ».

PHOTO No 10
Source : Collection Pierre Louis Lapointe. Photographe inconnu.
Légende : Tri des billes acheminées à l’usine de pâte chimique de la compagnie E.B. Eddy, sur la rivière des Outaouais, à Hull, vers 1946.  En arrière-plan, la colline parlementaire et le monde douillet et feutré des cols blancs et des hommes politiques, aux antipodes de l’univers de ces travailleurs manuels.  De nos jours, il s’agit de l’emplacement du Musée canadien des Civilisations.